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Grève de la faim du personnel soignant de l'hôpital psychiatrique de Saint-tienne du Rouvray 

Le 3 juin 2018 
Par Aurore Cahon, responsable la Main à l’Oreille Normandie et maman d’un enfant avec autisme, assistée de Philippe Lemercier, Psychologue, membre du CIEN centre inter-disciplinaire sur l’enfant, animateur des cafés-parent de l’antenne.

 

Rencontre avec Jean-Yves Herment, Infirmier en unité adulte, gréviste à son 13 ème jour de grève de la faim.

Il est 11h, j’arrive au CHSR de St Etienne du Rouvray, 3ème hôpital psychiatrique de France. Les banderoles s’affichent partout, depuis la rue jusqu’au « QG ».
Hier après-midi, il y avait beaucoup de monde, ce matin c’est plus calme avant le grand « café solidaire » à 15h.
Je reconnais quelques-uns des grévistes, il est question de leur surveillance quotidienne, assurée par des soignants du centre hospitalier : « Je vais te prendre ta tension ».
Hier lorsque j’ai proposé de venir ce matin « à la fraiche », l’un deux couché m’a répondu ironiquement : « oui demain matin, demain après-midi je serai mort… »

 

 

Aurore Cahon : Bonjour, question bête mais importante, comment allez-vous ?
Jean-Yves : Je fais partie des quatre premiers à avoir entamé cette grève de la faim, j’en suis à mon 13ème jour, le corps, lui, commence à en avoir ras le bol, le moral, lui, tient bon et comme le corps suit le moral, ça va, notre détermination est sans faille.
Nous ne nous sommes pas lancés là-dedans tête baissée, on s’est préparés et on est suivis, nous avons un comité de soutien de médecins généralistes extérieurs à l’établissement et des médecins de l’établissement qui assurent notre suivi journalier.
AC : Qu’est-ce qui vous a conduits à cette situation extrême, de mettre votre vie en danger pour mieux soigner celles des autres ?

Jean-Yves : Dans notre HP comme dans tous les HP Français, nous nous battons pour redonner du sens à notre métier, problème récurrent depuis plusieurs années. Déjà en 2012 nous avions tiré la sonnette d’alarme, pour les patients, les familles, les soignants. Chaque réunion, chaque mesure n’ont été que des pansements sur une jambe de bois.
Depuis le mois de janvier, nous avons une arrivée massive d’adolescents dans les services adultes. Il faut tout dire, pour que la population civile comprenne bien ce qui se passe.
Par exemple, pour les autistes, nous ne sommes ni formés ni spécialisés. En cas de maintien à domicile difficile, quand il y a des comportements très violents, et qu’il n’y a plus de solution intermédiaire, la seule porte qui s’ouvre encore c’est l’hôpital psy. Même si le CRA (Centre de Ressources Autisme) et des collègues de pédopsychiatrie viennent nous informer ou nous donner des pistes de travail, nous ne sommes pas outillés. Alors devant les risques qu’ils encourent auprès des autres patients, devant notre manque criant de personnel pour les accompagner et pour leur sécurité, on les met en chambre d’isolement. Si on est en nombre un jour, on essaie de cibler leurs besoins, une activité, pour une heure…

AC : Combien êtes-vous pour combien de patients ?
Jean-Yves : on devrait être 4 par quart de travail, on n’y est jamais, 2 ou 3 par quart jamais plus, pour 26 patients sachant qu’avec les lits supplémentaires, on monte à 29.
Moi je travaille chez les adultes au pavillon « Bucarest », le bâtiment est très vétuste : on a des chambres de 3 à 4 lits avec un toilette commun. Le bâtiment n’est même pas aux normes de sécurité.
On a alerté plusieurs fois l’ARS (Agence Régionale de Santé), mené des actions, jusqu’à l’attaché du cabinet de Mme Buzin (Ministre de la santé), ils nous ont répondu qu’on était mieux dotés que d’autres… Nous leur parlons de qualité des soins, d’êtres humains, ils nous répondent par des chiffres…
Nous avions commencé une grève « classique » le 22 mars, cela ne changeait rien, nous avons voulu donner un coup d’accélérateur, nous avons choisi la pire des solutions, nous faisons violence à nous-mêmes, comme nous faisons violence aux autres. Par la dégradation des soins, nous sommes dans la violence. J’en ai marre d’enfermer des gens qui n’ont pas besoin d’être enfermés. Nous avons besoin d’une ou deux personnes en plus.

C’est une vraie bataille pour la société au niveau du soin psychiatrique, c’est l’affaire de tous car nous sommes tous concernés.

PL : Y a-t-il eu un écho de votre mouvement dans les autres hôpitaux de France ?
Jean-Yves : oui tout à fait, plusieurs HP de France sont solidaires, des hôpitaux, mais aussi des collèges, des lycées, même les dockers ont lancé un préavis de grève avec ce motif : « soutien au personnel en grève de la faim à Saint Etienne du Rouvray », leur lettre nous a fait pleurer.
AC : Quelles sont vos revendications ?

Jean-Yves : Nous voulons 52 postes en plus, pas un de moins, je vais entrer dans le détail si vous le permettez. Nous avons fait le calcul exact du manque de personnel, intérieur et extérieur (sous-entendu intra-hospitalier et cellules extérieures telles que les CMP et hôpitaux de jour, qui bien souvent diagnostiquent, suivent et accueillent nos enfants autistes), il manque exactement 197 postes.

Évidemment quand on a fait la demande c’était couru d’avance qu’on ne les obtiendrait pas. Nous avons donc dû sacrifier bon nombre de personnels pourtant tout aussi importants, c’est-à-dire les secrétaires, la logistique, les personnels techniques, les assistantes sociales (largement constaté lors des cafés parents, des familles nous parlent de CMP désertiques, aux bureaux fermés et vides, qu’ils ne trouvent aucune assistante sociale pour leur démarche, des familles perdues et seules au bout du compte)… pour finalement ne demander que des postes d’aides-soignants et d’infirmiers.

C’est 52 postes ou rien.

AC : Et les lits supplémentaires ?
Jean-Yves : Les lits supplémentaires c’est quoi ? c’est le week-end, ou le soir, tu as un pic d’entrées, des patients qui ont besoin d’une prise en charge en urgence mais pas de place. Il a donc été créé ces fameux lits supplémentaires pour pouvoir accueillir ces patients en urgence, même si on est plein. Ces lits supplémentaires doivent ou devaient être une solution temporaire : tu accueilles ton malade le dimanche soir ; tu le mets dans un bureau sur un lit de camp et dès le lundi tu lui retrouves une chambre. Dans le fond, l’idée pourrait être presque intéressante sauf que le lundi et les jours suivants, le malade reste dans le bureau, sur son lit de camp avec un seau pour faire ses besoins car il n’y a pas de place. C’est ainsi que la situation s’installe.
Il faut bien comprendre que c’est l’offre qui fait la demande, s’il y a 1000 lits, on accueille 1000 patients. 35 lits supplémentaires ont été créés. Écoute bien ce que je vais te dire, il n’y a jamais eu de 36ème patient, jamais. Nous l’avons dit à la direction, le 36ème arrive à repartir, pourquoi pas les autres ? nous n’avons pas de réponse.
35 lits supplémentaire c’est 50 postes, on retombe toujours sur les mêmes calculs.

Il y a eu 2 expertises demandées en 2 ans, elles ont couté 330 000 euros. Le CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) a mandaté deux autres expertises de son côté par des sociétés extérieures, ces expertises se rejoignent pour dire qu’il manque 56 postes.
AC : J’ai entendu dire que la direction était absente du site depuis plusieurs jours, que se passe-t-il en cas de problème, vous avez quelqu’un de garde ?
Jean-Yves : il n’y a personne ! Je n’ai jamais vu ça ! Personne n’est à la tête du site ! On ne sait même pas où ils sont ! On n’a personne à contacter en cas d’urgence. Cela montre l’incompétence de la direction. Même la médecine du travail n’est jamais venue nous voir, pas une seule fois !
PL : Y a-t-il un dialogue, une écoute entre la direction de votre centre et le ministère ?
Jean-Yves : Je vais utiliser ce mot volontairement : il y a une collaboration entre la direction de cet établissement et le ministère, dans la gestion institutionnelle pour diriger les hôpitaux comme une entreprise.
Quand on nous a dit l’hôpital est en difficulté financière, il faut geler les embauches sur 5 ans, on a accepté, si ça peut permettre de sauver l’hôpital.

 

Nous sommes interrompus par des patients du pavillon Verlaine qui viennent témoigner leur soutien aux grévistes en leur offrant une banderole confectionnée par leurs soins.

On peut y lire : « A Verlaine, on est bien, ce n’est pas le cas partout ! chambre trop chère pour si peu de soins ! trop d’inégalités entre les pavillons ! Réveillez-vous, les patients ont besoin et d’infirmières et de soins adaptés. »
Nous sommes tous émus aux larmes.


Nous reprenons difficilement, « voyez ça aide les lunettes noires » me dit Jean-Yves.

Jean-Yves : 52 postes c’est 2.5 millions d’euros sur un budget de 102 millions, c’est une goutte d’eau. Eux voient cela comme une dépense, or nous le voyons comme un très bon investissement : quand une équipe est en nombre, elle s’essouffle moins vite, elle est satisfaite de ses soins, on diminue ainsi fortement l’absentéisme. D’autre part, en améliorant la qualité des soins, en optimisant la prise en charge des patients, leur sortie est un succès, or dans l’état actuel des choses, ils reviennent. Cela réduirait les retours en hospitalisation et aiderait à lutter contre la surpopulation dans les services.

Je vais vous donner un exemple, on parlait tout à l’heure des 197 postes sacrifiés à 52, nous avons une cafétéria qui est un véritable lieu de vie, de socialisation et donc de soins pour nos patients, c’est une véritable bouffée d’oxygène pour eux, qui sont tout le temps enfermés. Cette cafétéria, par manque de personnel, elle est fermée un jour sur deux.
Pour le peu qu’elle est ouverte, le jour où on n’est pas en nombre, on ne peut pas les emmener non plus. J’entends souvent : « Jean-Yves, tu m’emmènes à la cafétéria », et ma réponse c’est toujours :« demain », et ça se transforme en : « la semaine prochaine ». Avant on y allait même manger de temps en temps, le personnel, on n’a plus le temps.
Remettre 1.6 temps plein par unité c’est stopper l’enfermement institutionnel. Moi, on m’a appris « ouvrez ces foutues portes », aujourd’hui je suis un maton en psychiatrie qui ne fait que fermer des portes. J’en ai marre d’enfermer des gens qui n’en ont pas besoin, marre de trimballer un trousseau de clef énorme.
PL : Avez-vous du soutien médical ?
Jean-Yves : On a quelques médecins qui nous ont toujours soutenus mais récemment, le président de la CME (Commission Médicale d’Établissement) voyant la tournure des évènements, a donné comme consigne aux médecins de signer le soutien aux grévistes. Pourtant, ce président avait toute autorité auparavant puisque la direction lui a donné les pleins pouvoirs depuis 3 ans. Une seule personne qui a autorité sur tout !

AC : Vous réclamez également une unité pour accueillir les adolescents, qu’en est-il ?
Jean-Yves : A l’heure où je vous parle on compte 30 adolescents hospitalisés dans les services adultes. Moi j’ai accueilli un gamin de 13 ans dans mon service, je n’ai pas eu d’autre choix que de le mettre en chambre d’isolement pour le protéger des autres patients adultes. Enfermé donc en chambre d’isolement, avec un seau pour faire ses besoins. Moi je fais de la psychiatrie adulte, accueillir et soigner les enfants je sais pas faire, alors je fais comme je ferais si c’était mon môme, et ce n’est pas du soin ça, c’est de l’émotionnel. Quand je dis au gamin « fais-moi confiance titi ça va aller » et qu’il se retrouve enfermé en chambre d’isolement, vous imaginez l’image qu’il va garder de l’hôpital psychiatrique ? Ben je vais vous le dire avec ses mots « vous êtes tous des bâtards » …
Il manque 6 infirmiers pour créer cette unité d’adolescents.
Nous avons proposé une solution dans l’attente que le bâtiment sorte de terre, vider les patients au fur et à mesure d’une unité d’adultes pour y installer les adolescents, en mixant des personnels des services d’adultes et de pédopsychiatrie.

AC : Vos demandes ont-elles été entendues ?
Jean-Yves : Pour l’unité adolescents, que ce soit la temporaire et la définitive, c’est en très bonne voie avec l’ARS. Pour le reste nous n’avons aucun retour, aucune réponse à part un audit le 6 juin pour faire des calculs, sachant que les calculs sont faits depuis longtemps et qu’ils sont en leur possession.

Aucun membre de la direction n’est venu nous voir depuis le début du mouvement.

AC : Pouvez-vous me donner les motifs d’hospitalisations des personnes autistes ?
Jean-Yves : Le premier c’est le passage à l’acte violent associé à une rupture avec la famille ou les institutions. Viennent ensuite les maintiens à domicile difficiles, souvent en lien avec le premier, et enfin, l’âge, 21 ans, quand il n’y a plus de solution d’accueil.
AC : Comment on les accueille ?
Jean-Yves : Mal. S’il y a un comportement bruyant qui n’est pas « compatible » avec la vie en collectivité c’est très difficile. Ils sont stigmatisés par les autres patients, d’autant plus que souvent ils recherchent beaucoup le contact et sont, pardonnez-moi l’expression, rapidement « collants ». Nous, évidemment, ça ne nous dérange pas mais cela développe rapidement des comportements à risques chez les autres patients.

Par conséquent je vais pas vous mentir, on les enferme et on les « charge » à l’Haldol. (Neuroleptique)

Le travail de fond sur les sphères autistiques ne peut pas être fait. On appelle le CRA (Centre de Ressource Autisme). Ils veulent nous aider mais je ne comprends même pas leur jargon dans le domaine, ils essaient de nous orienter, de nous donner des pistes. Mais nous ne sommes pas formés.

PL : Les patients se trouvent donc enfermés dans leur absence de solution ?
Jean-Yves : C’est ça. On passe trois fois par jour pour l’alimentation et les médicaments. C’est tout.
AC : J’imagine bien que vous n’êtes pas satisfaits de cette prise en charge ?
Jean-Yves : Totalement insatisfait de cette prise en charge. Si on est un peu plus nombreux, on va essayer d’aller les voir… La compréhension de leur monde, ça ne peut pas se faire en une heure… Les médecins aussi essaient de faire quelque chose, mais à partir de 17H il n’y a plus qu’un interne sur tout le site, avec un PH de garde qui est lui aussi débordé, donc c’est pareil, s’il y a une gestion de crise, on enferme.
AC : Et les familles ?
Jean-Yves : Bien souvent, il y a une rupture telle, avec la structure familiale, que nous proposons aux familles de prendre un peu de répit, de souffler pendant que le patient est hospitalisé. Le problème c’est quand elles reviennent. Elles sont sidérées par les conditions d’accueil,  mais acceptent ce nivellement par le bas car devenu insupportable à la maison. Les familles voient les efforts qu’on essaie de faire. Elles se disent qu’au final, c’est mieux que rien.
AC : Il est question d’agressions sexuelles sur des adolescents par des patients adultes, aujourd’hui, si mon fils autiste est hospitalisé, est-il en sécurité à l’hôpital ?
Jean-Yves : Je n’en suis pas certain, non. Moi j’ai un enfant de 14 ans, jamais il ne mettra les pieds ici.
AC : Qu’attendez-vous des gens qui vous soutiennent ?
Jean-Yves : appelez vos élus, vos mairies, vos contacts, députés, qu’ils ouvrent les yeux, et affichent leur soutien, qu’ils aillent à l’ARS.
Je ne demande pas 1 centime de plus, je veux répondre aux missions du service public qu’on m’a confiées, en tant que soignant.

Une marche solidaire est organisée le 4 juin à 18h à l’Hôtel de ville de Rouen en soutien aux grévistes et du personnel de l’hôpital psychiatrique

Merci infiniment à ces hommes et femmes qui se privent de nourriture depuis 13 jours pour nous tous.

Comment en sommes-nous arrivé là ? des soignants qui « crèvent » pour reprendre leurs expressions dans le but d’améliorer les soins qu’ils dispensent ? 

 

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