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La Main à l’Oreille
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Vingt ans déjà !


Par Laurence Vollin

Ma fille ainée vient de fêter ses vingt ans. À cette occasion nous avons ouvert les albums photos de sa naissance. Un an d’euphorie, d’enthousiasme, de légèreté, de bonheur. Un an de visages radieux, de sourires, de silhouettes pleines d’énergie qui animent toutes ces images récoltées précieusement.

Vingt années de vie avec nous, avec sa sœur handicapée et son petit frère. Des moments radieux, des joies incroyables et puis de sacrées turbulences, questionnements, et souffrances.

Anne-Laure est arrivée quand sa sœur avait vingt mois. Nous les promenions toutes les deux dans une poussette double. Je vois encore le bras tendu que cette petite fille d’à peine deux ans dressait entre le visage de sa petite sœur et quiconque s’approchait d’elle d’un peu trop près. La tentation était grande d’examiner ce bébé déjà très différent… Mon fils est né quand Anne-­Laure avait quatre ans. Le bonheur de sa naissance a bientôt quatorze ans et il fut le plus beau cadeau qu’Anne-­Laure ait jamais reçu : ce petit frère adoré… Elle le guette, l’attend, se réjouit de le retrouver après l’école, et a développé un lien très particulier avec lui.

Cette fratrie est singulière et s’équilibre différemment en fonction de l’évolution de chacun. Ils gardent cependant tous des points communs qui semblent émaner d’Anne-Laure et que chacun reprend à sa manière. Une capacité à s’isoler, à freiner le cours des choses. Ils aiment se déconnecter du monde, être hors du temps, comme Anne-­Laure. Ils se rejoignent aussi dans un tempérament très précis ; ni les uns, ni les autres ne sont influençables, c’est eux qui décident ! Malgré le handicap, cette similitude est frappante. Ce sont trois personnalités très fortes et très différentes, qui nous interrogent énormément. Ils ont chacun leur vie, leur parcours, et leur indépendance.

Nous avons essayé de ne pas impliquer la fratrie dans la gestion du handicap de leur sœur. Ils se comportent avec elle comme dans une famille sans handicap, ni plus ni moins. Anne-­Laure est totalement dépendante pour tous les actes de sa vie quotidienne, mais nous avons rarement sollicité ses frère et sœur pour s’en occuper. S’ils souhaitent la faire manger ou avoir une activité avec elle, ils le décident eux-­mêmes. Nous ne leur avons jamais demandé de la changer ou de la doucher, considérant que ces soins du corps, à un âge avancé, excédaient les relations d’une fratrie habituelle.

Le  handicap  de  leur  sœur  est  une  trace  en  eux  qui  ne  disparaitra  jamais,  ils    sont « marqués ». J’ai souvent craint que cette « marque » ne les affaiblisse, qu’elle soit un traumatisme aux effets dévastateurs. Certes ils sont estampillés « frère et sœur d’une personne handicapée » mais reconnaître avec eux cette différence, c’est déjà la transformer. C’est cesser de penser « pourquoi ? » dans une plainte affaiblissante, pour penser « pour – quoi ? » et tenter d’en faire quelque chose. Bien sûr, il s’agit aussi de recueillir leurs difficultés, leur souffrance et parfois elles nous dépassent, nous submergent et font écho aux nôtres. Il n’y a pas de « solution miracle ». Nous tentons  jour après jour d’être présents, positifs, sans outrance.

J’ai remarqué pour ces frère et sœur, à des périodes différentes, ce désir de perfection,  ce souhait de répondre à toutes nos attentes. Particulièrement dans les périodes douloureuses  de  crises  d’Anne-­Laure,  comme  s’ils  marchaient  sur  la  pointe  des  pieds pour ne pas nous déranger. Ils semblaient estimer inconsciemment qu’ils ne devaient pas nous procurer un souci supplémentaire ou tout simplement parce que notre indisponibilité ne leur laissait pas la possibilité d’exprimer une quelconque revendication. Alors ils se faisaient tout petit et ne nous apportaient que de grandes satisfactions, à l’école, dans toutes leurs activités et dans leur comportement.

Quand les crises d’Anne-­Laure se sont estompées et que nous sommes redevenus un peu plus disponibles, ils se sont autorisés quelques « défaillances », qui au début nous ont beaucoup surprises. Puis nous avons compris qu’ils avaient saisis que nous n’étions pas parfaits puisque quelque chose du comportement d’Anne-­Laure nous échappait. Nous ne pouvions pas tout solutionner. Notre imperfection les a autorisé à s’alléger du poids de cette pression qu’ils s’imposaient pour tout réussir.

L’imperfection c’est aussi reconnaître une certaine faiblesse, une incapacité à tout gérer et surtout, c’est accepter de se faire aider. Nous avons souvent évoqué ce point avec eux. Anne-­Laure a mené la famille sur des chemins vertigineux et ce vécu a bousculé la fratrie provoquant parfois un mal être considérable. Nous, les parents, n’avons pas suffi à consolider cette construction en péril. Nous avons écouté, recueilli les plaintes mais  nous leur avons fait comprendre qu’ils ne pouvaient pas tout nous dire et que nous ne pouvions pas tout entendre. A partir de ce fait nous avons cherché avec eux un tiers, une personne qui puisse les écouter. Cette aide ponctuelle s’est avérée libératrice et les a  aidé à franchir des périodes cruciales de leur adolescence.

Dans tous mes écrits, j’ai souvent parlé de la confiance que j’essayais d’avoir en mes  trois enfants. Aujourd’hui, je pense qu’il y a d’abord une présence : un « je suis là » essentiel, quoiqu’il arrive. Puis une vigilance : un « je ne te lâche pas sans filet… » et enfin cette fameuse confiance : un « tu sais, et peux faire sans moi » indispensable, comme dans toutes les fratries, indépendamment d’un quelconque handicap.

Toutefois, j’ai envie d’ajouter que durant ces vingt années de vie avec mes trois enfants, quelles que soient les difficultés rencontrées, l’apaisement et la sérénité ont été acquis patiemment grâce à mon travail analytique. Ce n’est pas une obligation, ni une recette magique, c’est juste apprendre à poser un voile sur le réel de la souffrance, tenter de prendre une distance avec les difficultés, faire un pas de côté pour ne pas se laisser absorber, réduire ou détruire par le désespoir.

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