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Lettre ouverte à Monsieur Fasquelle 

 

Par Valérie Gay-Corajoud 

En réaction à sa proposition de résolution demandant l'interdiction de la psychanalyse dans la prise en charge des autistes

Monsieur,

En réponse à votre proposition de résolution « invitant le gouvernement à promouvoir une prise en charge de l’autisme basée sur les recommandations de la Haute Autorité de santé », dont vous faites une lecture biaisée et liberticide, je me permets de m’insurger car aujourd’hui c’est ma liberté de parent d’exercer des choix éclairés pour mon enfant que vous venez piétiner, comme vous piétinez et discréditez les professionnels qui nous accompagnent.
Tout d’abord, permettez-moi de vous demander en quoi un homme qui a fait ses études en droit est à même de comprendre ce qui se joue de particulièrement difficile et délicat dans l’accompagnement d’une personne autiste. Vous suffit-il d’avoir quelques connaissances autour de vous ? Quelques opinions ? Pour venir ainsi nourrir une querelle de chapelle qui ne cesse depuis des années d’alourdir le quotidien des familles touchées par ce handicap ?
Moi je vais vous dire, Monsieur Fasquelle, j’en ai marre.
Mère d’un enfant autiste, je ne supporte plus que vous nous pondiez des lois, des décrets, des résolutions et je ne sais quoi encore sur un sujet dont fondamentalement vous n’avez que faire si ce n’est qu’il sert vos intérêts politiques. Aussi, permettez qu’aujourd’hui, à quelques jours d’un vote qui risque de changer la vie de mon garçon et de celle de ma famille, je prenne la parole en public.
Depuis l’émergence de l’autisme de mon fils, je n’ai fait que slalomer entre vos querelles, vos goûts du pouvoir, vos ambitions, vos prétentions et, pardonnez-moi, mais aussi vos incompétences, pour parvenir à l’élever comme je l’entendais, avec toujours la peur au ventre qu’un jour on vienne m’interdire de faire ce qui me semble au mieux pour lui.
Et ce n’est pas les recommandations de la Haute Autorité de Santé et encore moins la façon dont elles ont été instrumentalisées, qui sont venues me rassurer à ce sujet !
Il est de bon ton depuis quelques temps de s’en prendre aux psys, toutes obédiences confondues. C’est très à la mode, ça rapporte des voix… et ça nourrit le portefeuille des lobbies comportementalistes qui vous soutiennent.
Les psys, que vous aimez rendre coupables de tout ce que vous ne comprenez pas, de tout ce qui vous dépasse, de toute cette douloureuse complexité qui vous échappe et qui vous dérange.
Les psys qui pourtant, ne vous en déplaise, s’occupent depuis toujours de ces « fous » qui inquiètent, qu’on cache, qu’on entasse… et qu’on délaisse.
Ces psys qui pourtant, m’ont écoutée, entendue, secondée, soutenue… Qui ont cheminé aux côtés de ma famille, de mon fils « bancal », de cet autiste dont pourtant la société ne voulait pas… ou pas vraiment.
Car ça dérange un autiste… ça fait tâche, ça ralentit, c’est bruyant, agaçant, angoissant. Ça a des comportements qui ne s’accordent pas avec la bonne marche d’un système aveuglé par sa propre suffisance.
C’est pour ça que les comportementalistes plaisent tant ! Parce qu’ils rognent les arêtes, ils étouffent les cris, camouflent la raison d’être de ces comportements… sans chercher à en comprendre la source… car au fond, soyons honnête, qui ça intéresse ?
Pas vous apparemment.
Mais voyez-vous Monsieur Fasquelle. Il y en a que ça intéresse, dont je fais partie. Il y a des parents qui veulent autre chose que le prêt-à-porter comportementaliste et surtout, il y a des parents qui veulent avoir le choix. Le choix pour leur enfant, autiste ou non.
Car c’est là voyez-vous que j’ai du mal à comprendre. Vous ne pouvez pas interdire la psychanalyse en France, mais vous voulez l’interdire pour les autistes ? Est-ce à dire que pour vous, Monsieur Fasquelle, les autistes n’ont pas les mêmes droits que les autres ? De quelle autorité vous munissez-vous pour scinder ainsi une population dans son accès à un accompagnement psychanalytique ?
J’aimerai que vous veniez chez moi Monsieur Fasquelle, regarder mon fils, écouter notre histoire, visionner nos films, feuilleter nos albums photos pour réaliser tout ce qu’il a été possible sans se borner aux lunettes étroites du comportementalisme !
Mon fils, diagnostiqué autiste typique de Kanner à l’âge de 2 ans, mutique, automutilant… est aujourd’hui un adolescent bien dans sa peau. Il a intégré une école spécialisée et a quasiment rattrapé son retard scolaire. Il fait de la plongée sous-marine et a des projets d’avenir. Il pense même avoir des enfants plus tard ! Oh bien sûr, il est toujours autiste ! Il le restera toute sa vie, mais il le vit bien, et nous aussi.
Son comportement autistique, au lieu de me déranger, m’a aidée à le comprendre, surtout à l’époque où il ne parlait pas. Plutôt que de le rogner ou de tenter de le normaliser, j’ai observé ce comportement pour comprendre qui était mon enfant, quelle était sa place au monde et comment je devais l’aider à s’y épanouir.
J’ai pris le parti de m’intéresser à son être, à calquer ma relation à lui au fil de ses inventions et de ses intérêts, aussi restreints fussent-ils. J’ai fait absolument tout ce que combattent les comportementalistes et que prônent et conseillent ces psys dont vous voulez la peau. D’ailleurs sur notre chemin nous en avons rencontrés de toutes sortes qui sont devenus nos amis, nos alliés, nos soutiens indéfectibles. Je constate leur travail, leur engagement, leur humanité, leur ouverture d’esprit, leur instruction, leur savoir… Leur infinie richesse. Ce que vous voulez aujourd’hui remplacer par quoi ? Du comportementalisme ? Cette espèce de méthode anglo-saxonne revisitée à la sauce européenne afin de faire passer la pilule ? Ce prêt à penser ? Ce fourre-tout lucratif qui se propulse sous forme de secte institutionnalisée ?
Oh bien sûr, on me rétorquera que le comportementalisme a mis de l’eau dans son vin et a su s’adapter et se remettre en question. Oui, c’est vrai… le comportementalisme s’adapte et c’est un outil dont je pourrais me servir à l’occasion. Un outil, mais certainement pas une fin en soi ! Nos enfants autistes méritent mieux qu’être enfermés dans une méthode !
Et puis d’ailleurs, de quel autisme parlons-nous ? Kanner ? Asperger ? Avec déficience mentale ou sans ? Avec épilepsie ? De quel recoin du spectre des Troubles Envahissants du Développement ? A partir de quel diagnostic ? Un diagnostic validé par quel professionnel ? Les comportementalistes ? Oui bien sûr, puisqu’il ne restera plus qu’eux !
Non monsieur Fasquelle. Non !
Lorsque Le président, Monsieur François Hollande a appelé dernièrement à un quatrième Plan Autisme qui serait celui de l’apaisement et du rassemblement, je pensais que nous allions enfin entrer dans une aire de paix ! Que nous pourrions, enfin, travailler tous ensemble auprès de nos enfants fragiles !
Mais voilà que vous voulez à nouveau scinder, briser, diviser…
Voilà qu’à nouveau nos autistes ne sont plus qu’un moyen, une excuse… Et non plus une priorité.
Voilà revenu le temps de l’inquisition.
Monsieur Fasquelle, au-delà de ma colère et de ma déception, je vous prie de percevoir à travers ces mots, l’espoir fou d’avoir su toucher l’homme en vous et je vous supplie de mettre un terme à cette résolution et à tout ce qu’elle risque d’entrainer de dramatique et d’irréparable.
Permettez aux parents de choisir pour leurs enfants. De choisir vraiment.

 

 

Valérie Gay-Corajoud

 

Lien vers l'article original sur Libération 

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