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Parcours d’une personne autiste dans un hôpital psychiatrique français

Par Nicole VIDEAU, Ex cadre de santé dans un hôpital psychiatrique français


Si j’avais du écouter  les adeptes de l’éducation ou de la rectification des comportements, si j’avais du écouter  les chantres du bon sens, aurais-je jamais compris que Djibril, sans le savoir, me disait autre chose.

Autiste, certes, personne ne le contestait, son regard comme tourné en dedans ou se fixant par côté de très près sur de menus objets, mais aussi sur des reflets lumineux, des aspérités de l’espace, sa démarche, instable, un peu dansante, sur la pointe des pieds, ses paroles qui répétaient les nôtres, ses soliloques qui donnaient l’impression qu’il imitait certaines personnes, peut-être ironiquement, sa solitude.

Et tous ces moments où brusquement il se mettait à crier sauvagement en se mordant les poings jusqu’au sang, en se frappant la tête contre les murs et les radiateurs, apparemment  impossible à calmer.

Sa façon de manger, malheureusement forcé de se mettre à table selon la norme, d’attendre son tour, de manger avec des couverts au milieu de tous les autres et cette incorrigible manière de se précipiter avant tout le monde sur le chariot de nourriture, son assiette à la main pour s’emparer de quelque chose que d’abord il sentait de tout près avant de le suçoter et de l’émietter et soudain, en plein milieu d’un repas où il paraissait calme de s’emparer de la nourriture d’une autre personne , ou bien encore de casser un verre ou une assiette au beau milieu du repas, parfois de gifler son voisin et de se mettre à hurler avant de s’enfuir.  

Tout cela se répétait à longueur de temps, jour après jour quelles que soient les stratégies employées pour lui faire comprendre, l’empêcher; parfois, certains pensaient qu’il avait besoin d’être protégé de lui comme des autres; alors, de guerre lasse, chacun se résolvait à l’enfermer dans sa chambre, à lui donner des médicaments pour le calmer.

Un jour, alors qu’après une période relativement calme, quelqu’un s’était soucié de le faire sortir de la chambre proche de la salle de soins où il était isolé dans un contexte sécurisé pour lui proposer une chambre individuelle à l’étage de la maison où l’on imaginait qu’il se sentirait gratifié,  la surprise fut grande de constater que le jeune homme  descendait toutes les nuits, agité. 

À cet instant, j’eus l’idée que peut-être, le garçon préférait rester dans le contexte familier qui lui permettait d’entendre l’équipe parler et travailler, quelque chose qui ne se mesurait peut-être pas à l’idée que nous avions du confort, que peut-être, il préférait contre toutes nos attentes une situation où  ces voix proches le rassuraient…

Cette chambre  dont il fallait  qu’elle reste aussi vide que possible, que rien n’y change, que rien ne vienne  y ajouter ce que d’aucuns pensaient être un petit confort : une couverture par exemple.

Il avait fallu beaucoup de temps pour faire le lien entre ces petits faits et les explosions de colère ou d’angoisse qui pouvaient se produire et parfois à retardement…

Ainsi, l’entrée de rayons lumineux, si les volets n’étaient pas soigneusement fermés pouvaient-ils aussi déclencher ces paniques indicibles. Si parfois, Djibrill se précipitait pour indiquer qu’il souhaitait les fermer, bien souvent il était impossible en situation de décoder ses intentions ou ses demandes, il fallut tout un travail qui demandait de se décentrer non seulement de ses habitudes, ses convictions quant à l’idée de bien- être,  mais aussi de faire un lien entre divers signes et faits qui aboutés les uns aux autres comme dans un rébus  pour donner un peu de sens à tout ce qui nous échappait. 

Ainsi, soudain a-t’on découvert que la sensibilité auditive de Djibrill qui lui permettait d’entendre de très loin des murmures pouvait aussi conditionner un rapport tout différent à l’Autre des sons, puis, que son rapport à la lumière était très particulier, jouant souvent avec les diffractions, les reflets, il pouvait aussi être sauvagement agressé par la lumière si elle modifiait tant son peu son environnement.

L’environnement dont on se rendit compte qu’il lui faisait un corps, mais un corps instable, en danger si quelque chose y était modifié, même quand on croyait que c’était pour son bien.

Bien sur, cette idée d’assurer son bien être, de préserver son intégrité  physique nous a longtemps abusés et fait méconnaître les signes qui auraient pu nous guider.

Il aurait suffi de le regarder pour voir que les coups répétés qu’il se donnait sur la nuque lui procuraient une satisfaction vitale. Tant de gestes, de réactions que nous ne voyons pas, tout occupés que nous étions à lui appliquer notre modèle idéal dont nous le pensions en défaut.

Il était isolé pour la sieste chaque jour, la consigne médicale était  de ne laisser sortir que s’il était calme, sinon il fallait lui donner un traitement et attendre qu’il se calme avant de laisser sortir. Presque chaque jour la situation se répétait, les cris, puis les médicaments. Un jour, un collègue constata par hasard que les cris se déclenchaient au moment où il se masturbait contre un radiateur dans sa chambre et que ce que nous prenions pour de l’énervement était en réalité lié à sa façon très personnelle de mettre en acte sa jouissance sexuelle. 

Dès lors que nous avons commencé à laisser tomber nos idées préconçues pour interroger à nos risques et périls des faits qu’à présent nous nous mettions à voir, les choses changèrent avec Djibrill  qui s’apaisa considérablement. Soudain, il n’était plus ce monstre dangereux et incontrôlable, l’idée qu’il était plus une énigme dans sa manière d’être humain faisait tomber les voiles de la méfiance, ne mettait plus en danger notre image de bon soignant qui réussit à faire un homme  » bien élevé », et peu à peu, non seulement, chacun recueillit les tout petits débris qui nous avaient semblé des déchets à négliger quand bien même parfois nous les apercevions, mais encore, on put percevoir quelque chose comme des échanges affectueux qui ont servi de point d’appui au début d’un travail dont on perçut au cours du temps les conséquences bénéfiques.

L’amour dont on sait qu’il peut-être la pire des plaies quand il nous exonère d’avoir à penser la différence peut pourtant, bien accueilli et convenablement orienté  être au départ d’un grande aventure humaine qui enrichit chacun.

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