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La Main à l’Oreille
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La mémoire des jambes

Journée : Quel plan Autisme en Belgique, Bruxelles, 10 mai 2014


Je viens ici témoigner de ma rencontre avec l’autisme et de ce que j’en ai fait, qui s’est trouvé être au point de départ d’une série de rencontres, qui m’ont conduite, avec d’autres, de la main, à l’oreille, vers l’invention autistique.

Mais avant cela, je voudrais vous dire un mot de ma rencontre avec Bruxelles. J’ai habité trois ans dans la commune d’Ixelles, alors que j’étais contractuelle dans les institutions communautaires. Longtemps après, mille endroits, mille détails ont gardé pour moi leur parfum subtil et insistant, tout autant qu’indéfinissable, des aubettes surannées du parc Léopold à l’enfer de la circulation rue Belliard, des tables italiennes installées dans les fonds des jardins des maisons de maitre aux hot dog choucroute de la gare du midi avant sa rénovation… Pour autant, j’ai toujours été incapable de me faire une représentation mentale de la géographie de la ville. J’avais coutume de penser que c’était parce qu’il manque à Bruxelles un cours d’eau qui la traverse et qui permette d’organiser la distribution spatiale des quartiers en fonction de leur position… rive gauche, rive droite, amont, aval… jusqu’à ce que je découvre que Bruxelles dispose bien d’une rivière, enterrée, dénommée – ça alors ! – « La Senne » ! Qu’importe. Pour moi, Bruxelles restera une ville fractale, à l’aménagement fracturé et dont chaque portion est un condensé d’un espace plus grand, fragmentable à l’infini tout en restant indiscutablement Bruxelles. Aimer Bruxelles, à hauteur de déambulation, dans la mémoire des jambes.

Par Mireille Battut

La mémoire des jambes est justement un des enseignements que j’ai reçus de Louis, celui de mes deux garçons qui est dit autiste. Voici comment : Georges et Louis avaient quatre ans quand, un jour de vacances, nous les emmenons visiter un parc zoologique. Louis n’a évidemment cure des quelques animaux encagés qui excitent tant Georges. Il choisit de parcourir un sentier dallé qui serpente entre les cactées et le romarin. Il fait et refait le parcours. Je
décide de photographier ses pas, pour percevoir, moi aussi, ce qu’il perçoit, le frôlement d’un massif de sauges le long du mollet, le battement de son talon sur le rebord d’une dalle, l’odeur du bouquet de lavande qui lui caresse la narine. Après quatre ou cinq aller-
retour, voilà qu’il s’arrête en bas du chemin. Il se couvre entièrement la tête de son lange et reste un moment comme ça. Je le vois refaire mentalement sous son voile les mouvements du trajet du sentier que ses jambes ont mémorisé. Il se dévoile enfin et contemple, satisfait, qu’il ne s’est pas trompé.

Vivre avec l’autisme, c’est pénétrer un espace fractal, dans lequel la notion de sens n’est à priori d’aucun secours, et dans lequel chaque particule élémentaire est porteuse d’un univers entier. Quand on y a goûté, on ne l’oublie plus. Jim Sinclair dit cela dans une lettre splendide aux parents « Dont mourn for us » Ne nous pleurez pas : « L’autisme est une manière d’être. Il est envahissant; il teinte toute expérience, toute sensation, perception, pensée, émotion, tout aspect de la vie. ».

Ainsi, Bruxelles a été le premier défi à mon esprit républicain profondément ancré dans l’identité universaliste française, mais l’autisme est venu ensuite transformer mon regard et a changé mon rapport à Bruxelles. Bruxelles fractale, Belgique fractale, accueillante aux autistes. Alors que la France s’enfonce plan après plan dans ses propres impasses, qu’avez-vous donc besoin d’un plan autisme à la française ?

Pour poser la question autrement : dans le gigantesque réarrangement subjectif qu’implique une rencontre singulière avec l’autisme, quelle fonction occupe donc sa transformation en un objet collectif qualifié de « grande cause nationale » ? Je n’avais jamais envisagé qu’un discours de la sphère publique pût un jour désigner mes choix éducatifs et mes convictions éthiques comme inappropriés ou non pertinents. L’irruption du discours de la science au cœur de mon vécu intime et familial fut un deuxième défi redoutable. Face à ce discours culpabilisant, j’ai alors écrit un billet ironiquement intitulé « Mère d’enfant autiste, plutôt coupable qu’aba ». Je crois très important de réaffirmer qu’être parent c’est d’abord et fondamentalement un bricolage où l’on fait ce qu’on peut, avec les embrouilles du réel, entre les exigences gloutonnes de la vie professionnelle, les embarras du couple, et un certain idéal social que l’on s’efforce de transmettre au travers de la lignée familiale. Un parent n’a pas à se transformer en professionnel de son enfant en appliquant des protocoles. Tout enfant a droit à avoir des parents qui lui laisseront la place d’exister, qui se laisseront enseigner, car ce sont nos enfants qui nous enseignent à être parents !

C’est dans un climat d’intimidation, de listes noires, qu’est née « La main à l’oreille ». Mais elle est née d’un désir, et ne s’est pas construite en miroir des associations virulentes. C’est ce que disent les parents de notre association :

« Il ne faut pas combattre l’autisme. Il nous appartient de le faire connaitre si nous voulons que nos enfants soient accueillis dans notre normalité. » Marc, Papa.

« Nous ne faisons pas face à l’autisme, nous sommes à côté. » Alexandra, maman.

« Nous avons chacun une culture différente, mais nos orientations concernant les personnes autistes, leur place, leur prise en charge, et la gestion politique de leur cause, vont dans le même sens. » Christine, maman.

« Nous avons besoin de pluralité, mais surtout d’apaisement et de sérénité. » Aurore, maman.

Le désir des parents de notre association est de construire, à partir de nos antennes régionales, des espaces qui répondront aux multiples besoins des familles : accueil, espaces de rencontres, activités artistiques, loisirs, répit pour les familles, lieux de vacances, préparation à l’autonomie, etc. Ces activités s’inscrivent dans un temps plus ou moins long de construction et de structuration. Elles recouvrent aussi la représentation de notre sensibilité et le travail en confiance avec les institutions qui accueillent nos enfants, qu’elles relèvent du sanitaire, du médico-social ou de l’éducation nationale. Nous souhaitons être des partenaires responsables auprès des autorités régionales de santé, des maisons du handicap, des centres de ressources autisme… Nous animons des groupes parents dans les centres d’accueil sectorisés, des instituts, des hôpitaux de jour, des centres d’animation, des maisons des parents, … et aussi, nous essayons d’aider les familles dans leurs démarches administratives épuisantes face au manque dramatique de structures d’accueil. Par-delà notre quotidien pas toujours rose, nous voulons constituer des endroits où il fait bon vivre.

Nos amis très chers de l’association TEAdir nous avaient déjà précédés dans cette voie. Les débats que nous avons organisés autour du film merveilleux d’Ivan Ruiz « Unes Altres Veus » « D’autres voix » ont été à l’origine de plusieurs de nos antennes. Nous avons exposé les œuvres de nos aRtistes, avec un succès chaque fois grandissant. Nous avons une antenne de La main à l’oreille à Saint-Petersbourg. Ils font des ateliers, des expositions, et nous envoient aussi leurs œuvres.

La chose la plus extraordinaire qui nous soit arrivée, c’est que, chemin faisant, nous sommes devenus en quelque sorte co-inventeurs des solutions que nos enfants ont trouvées pour faire avec leur condition et se construire comme personnes. Cet esprit d’invention et de poésie caractérise notre blog www.lamainaloreille.com que nous vous invitons à visiter. Nos adhérents y écrivent, les émerveillements, les trouvailles, les petits riens qui font la vie, mais aussi les remises en cause, les défis, les énigmes auxquels les confronte leur rencontre avec l’autisme :

Celine, maman: « ces petits objets que tu trimballes avec toi ne te quittent pas depuis que tu es petit… une assiette en plastique, une grande, une petite, un peigne, une brosse. Des objets durs, des doux comme les pinceaux. Si nous ne te limitons pas, tu dors avec, tu te laves avec, tu manges avec, tu veux sortir avec… Nous avons voulu lutter, mais finalement, nous aussi, nous sortons avec notre téléphone, notre sac… Alors à quoi bon combattre une assiette, un bouchon de lavabo ou une plume ? Nous avons appris à faire avec. Aujourd’hui, nous en parlons, nous en jouons, nous en rions. »

Marie-Annick, AVS : « Lors d’une de nos discussions, Antoine, fier et amusé, m’avait dit de mon travail à ses côtés : « en fait, tu fais de l’antoinologie !« . C’est drôle, c’est un jeu de mots, mais c’est ça! Antoinologue toujours en position d’apprentie, je lui laisse la tâche de m’apprendre à m’occuper de lui.»

Marianne, professeure de français : « Pour lui, je fis une exception, en lui permettant de garder son livre de cours, qu’il feuilletait toujours assidûment. Le livre de cours fut remplacé, un temps, et avec le même usage, par le Code civil, dont la lecture, disait-il, le passionnait. ». Maintenant, ce garçon, Victor, fait du théâtre et a monté un scénario. »

Eugénie, maman « Lucile bouleverse tout car on la bouleverse tout le temps, mais son intelligence est noble, son monde très cohérent, bien plus que le nôtre. Et tous les autres enfants différents autant qu’ils soient, ont beaucoup à nous apprendre sur nous-mêmes. Mais nous persistons à vouloir les entendre depuis notre réalité et forcément nous n’y comprenons rien. »

Mariana, sœur: « Je me suis toujours sentie interpellée par les silences de ma sœur et sa façon à elle d’être parmi nous. Adossée à la fenêtre, elle aimait, yeux fermés, sentir les vibrations des voitures passant au loin ou, assise dans le jardin, regarder par terre les minuscules êtres au bouger incessant, vaquer à leurs occupations silencieuses. »

Laurence, maman : « Anne-Laure, encore une fois, a cet art de m’imposer une pause, de donner un coup d’arrêt dans mon emploi du temps, de stopper le temps qui passe et s’écoule dans une dimension qui n’est pas la sienne. J’ai soudain l’envie irrésistible de rentrer dans sa dimension à elle, d’enlever ma montre, de ne plus regarder l’heure, de laisser filer. Après tout, c’est Noël ! »

Alexandra, maman: « Les enfants avec autisme ont des choses à nous dire. Ils nous font grandir, nous les parents, et nous enchantent par leurs trouvailles singulières. Celles de mon fils Mahé se trouvent souvent sur le versant de la langue et sont le fruit d’un cheminement intérieur sophistiqué. Le thème du ciel et de l’amour anime beaucoup ses pensées. »

Voilà. L’imperfection, c’est le fil que nous suivons avec nos enfants, et qui conduit à l’invention, au plaisir de la rencontre. Cela nous rend beaucoup plus joyeux, me semble-t-il. C’est ainsi en tout cas dans notre association.

Hommage aux victimes des attentats de Bruxelles par Enzo Schott 

Hommage aux victimes des attentats de Bruxelles par Enzo Schott

En solidarité avec nos amis belges, un texte qui garde la mémoire des jambes d’une si belle ville, quand il ne faut pas oublier notre liberté.

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