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Entretien avec la mère de Kosta

Par Marie Brémond

Kosta fut diagnostiqué autiste à l’âge de deux ans. Il est le second enfant d’une famille greco-anglophone. Les parents décidèrent de déménager en Belgique quand Kosta eut 3 ans, laissant derrière eux leurs amis, leur famille et leur travail en Grèce, dans l’intérêt de leur fils.

Kosta a aujourd’hui 7 ans, il va au centre de jour Grandir, où il fréquente également une classe de L’Ecole Escale, spécialisée pour les enfants autistes. Il va aussi au lieu d’accueil la Soucoupe, parfois les samedis après-midi. C’est là que j’ai rencontré sa mère dont la vie, depuis la naissance de son fils, est marquée par l’Agonas, me dira-t-elle en grec, la lutte, le combat.

La lutte, la révolte répond par ailleurs, pour cette mère, à ce croisement spécial entre deux insupportables dans son pays : celui d’une crise qui le submerge doublé de corruption d’une part, et celui de non choix de l’être humain soumis à des méthodes d’apprentissages forcées d’autre part. S’il ne s’agit pas d’y voir une corrélation, cet état en crise est marqué par la coexistence de ces insupportables, dont la révolte de cette mère en serait la réponse en acte.

 

Mère – Kosta aime Shawn the train, c’est un dessin animé où le train est personnifié. Il y a beaucoup d’autres choses qu’il aime à la maison… À Grandir, il aime autre chose. Il distingue les deux endroits, il me surprend, je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse établir une telle différence. Bien qu’il l’apprend à l’école, il n’a aucune envie de pratiquer le SESAME (1) avec moi par exemple !

Marie Brémond – Vous voulez dire qu’il distingue deux lieux, deux langues aussi peut-être ?

Mère – Je pense qu’il comprend bien plus qu’il ne nous montre.

M.B. – C’est une idée intéressante.

Mère – Je pense qu’il fait bien plus que ce qu’il nous montre à la maison. Je m’amuse à le surprendre : il toaste ses tartines tout seul. Il sait ce qu’il ne faut pas toucher, lorsque les plats sont chauds, il peut comprendre que c’est en train de se cuire ou bien encore comment utiliser la machine à laver. Je ne lui ai jamais dit comment utiliser la machine, peut-être m’a-t-il observée, sans que je ne le remarque.

Se familiariser avec un diagnostic en Grèce

Tout petit, Kosta regardait partout, il nous faisait des signes de la main, ses premiers mots furent « nourriture » et « oui » en grec. À l’âge de deux ans et demi, nous avons soudainement perdu quelque chose, il n’y avait plus de regard chez lui, il ne jouait plus, il devint difficile. Avec mon mari, nous savions que quelque chose n’allait pas. Nous vivions sur une île isolée en Grèce. Il n’y avait pas de médecins spécialistes, nous sommes allés jusqu’à Athènes.

Mais là-bas, nous ne reçûmes aucun diagnostic précis. Plus nous cherchions des réponses, plus elles s’avéraient difficiles à trouver. Finalement, nous rencontrâmes quelqu’un qui nous dit qu’Alex se situait sur le spectre autistique et nous dit de revenir six mois plus tard. Rien de plus ne me fut dit, je ne savais pas ce que je pouvais faire de plus aux vues des médecins sur place, et de notre gouvernement. C’était un moment difficile pour moi !

Par chance un matin, je faisais du rangement dans la maison et j’entendis un docteur grec parler de l’autisme à la télévision, ce qu’il disait ressemblait à ce que je lisais et ce que je voyais sur internet. Je pris un rendez-vous avec lui et il me donna une idée claire de ce qu’Alex allait devoir suivre comme traitement. Il était l’un de ces docteurs qui ne pensait pas qu’Alex doive être contraint, forcé. Il pensait que la relation avec l’enfant devait être première puis, seulement, l’apprentissage de certaines choses pouvait s’installer.

Ne sachant pas ces choses là, durant l’année précédent la rencontre avec ce docteur, Kosta avait été contraint d’utiliser PECS (2) avec une orthophoniste. Il était devenu petit à petit effrayé par cette méthode, il criait, mais je ne connaissais rien d’autre et je pensais qu’il devait communiquer avec cet outil. Finalement, j’ai dit à l’orthophoniste que j’allais arrêter d’utiliser PECS, je ne voulais pas qu’Alex se sente forcé. Je voulais qu’on trouve une façon de l’aider à apprendre d’une manière plus joyeuse pour lui. Il n’apprenait pas, il était simplement dans une rébellion, il criait, il tapait et, en fonction de ce qu’il apprenait, il recevait une sucette, un bonbon, un chocolat, ce qui n’est pas une façon de faire apprendre ! Mais je ne connaissais rien d’autre. En regardant sur internet ou dans les livres, je réalisais que les docteurs croyaient en cela – cette récompense avec de la nourriture, le comportementalisme.
À cette époque, j’attendais un examen complet dans l’hôpital du docteur sympathique que j’avais rencontré, mais on m’a demandé de l’argent pour le faire, je n’étais pas prête à devoir donner de l’argent, c’était pour moi inacceptable en 2010 ! De donner de l’argent afin d’obtenir un bilan médical ! J’ai dit à mon mari que je refusais de payer et que nous allions attendre comme tout le monde. Aujourd’hui, nous sommes toujours sur cette liste d’attente, trois ans plus tard (rires), toujours à attendre….
Quelques semaines après cet évènement, j’ai dis à mon mari que nous ne pouvions attendre indéfiniment et nous avons décidé de déménager très vite, pour trouver un lieu d’accueil, de traitement, pour Kosta. Il y avait des opportunités de travail aux États-Unis et en Europe. D’abord, j’ai pensé partir aux États-Unis puis, après des recherches, j’ai remarqué qu’en Belgique, ils cherchaient à accompagner les personnes autistes avec beaucoup d’écoles différentes, de systèmes différents et spécialisés. Ce système spécialisé, on ne peut pas le trouver en Grèce, il y a bien des prises en charge dans des écoles spécialisées, mais qui prennent tous les enfants, toute pathologie confondue (problème moteur, autisme, etc.)

Déménager à l’étranger

En 2010, nous déménageâmes à Bruxelles. J’ai commencé à chercher une école pour Kosta et en premier lieu j’ai visité une école avec la technique ABA. J’espérais trouver un lieu plus progressiste, davantage centré autour mon fils que vers un système. Une place se libéra à Grandir (3). Là-bas, ils étaient beaucoup plus libéraux dans leurs pensées. En premier lieu, il y a l’enfant et puis, seulement, une méthode pour apprendre. J’aimais cela. J’ai pensé qu’Kosta pourrait s’y intégrer, j’avais un bon feeling !

Le docteur que nous avions rencontré en Grèce m’avait dit que Kosta n’aurait pas de difficultés à s’adapter à une nouvelle langue, ce qui était mon angoisse. La première année à Grandir fut difficile sur ce point, mais désormais il est passé au français et il comprend deux langues. Bien qu’il ne parle pas, il les comprend. La langue n’est pas quelque chose qui aurait dû nous inquiéter.

M.B. – Il comprend trois langues, puisqu’il y a aussi votre langue maternelle, l’anglais ! Vous m’avez déjà parlé d’un endroit où il est moins angoissé, plus tranquille : le village sur l’île en Grèce où vous retournez visiter votre famille.

Mère – Oui, là-bas il y a peu de monde, ils connaissent tous la situation, et sont protecteurs avec lui. Il y a peu de voitures. C’est tranquille, isolé. Kosta a de la liberté. Il est dehors toute la journée, il est très familier des habitants, il a l’habitude de prendre son jus, ses chips et de s’installer au café du village avec les vieux, juste pour être avec eux à les écouter.

Communiquer avec Kosta

M.B. – J’ai remarqué que Kosta avait besoin de tranquillité. Parfois, il lui arrive de poser ses mains sur notre bouche, délicatement pour qu’on s’arrête de parler.

Mère – Oui, parfois, il veut avoir du temps à lui, à part. Il monte, ferme sa porte et puis revient, je sais que je ne dois pas le déranger, qu’il a besoin de son moment de calme.

M.B. – Comment avez-vous compris qu’il ne fallait pas le déranger ?

Mère – Parce que si je m’approche trop près, il peut devenir très agressif dans ces moments là, il a déjà pu me pousser. J’ai compris que l’espace était essentiel. Nous découvrons une façon de communiquer sans mots !

M.B. – Quelle est-elle précisément ?

Mère – Il s’agit de remarquer ce qu’il fait : il me tire par le pull, m’emmène avec lui pour me montrer des choses petit à petit. Désormais, il me pointe les choses qu’il veut, les biscuits, les tartes. Toutes les cartes PECS en grec, il ne les a jamais utilisées. C’est ma fille qui s’amuse avec, elle pense que c’est un jeu de société (rires). Il la regarde, lui prend des mains et les jette.

M.B. – Ces cartes ne sont pas sa tasse de thé !

Mère – Non, elles ne le sont pas !

M.B. – À la Soucoupe, nous avons remarqué qu’il aimait bouger son corps avec l’aide de la trottinette.

Mère – Il adore les mouvements de son corps et ceux des véhicules ! Il aime faire du vélo ! Mais il aime aussi les trams, les bus, le métro ! Il peut simplement s’asseoir à la fenêtre et regarder les voitures défiler.

M.B. – Quand il fait de la trottinette, malgré son attache si forte à cet objet, il peut la céder à d’autres. Y-a-t-il quelque chose qu’il fait plus particulièrement à Grandir ?

Mère — Oui, du vélo ! Aller dehors avec le vélo ! Maintenant, ils sortent à l’aréna pour vélos. Il adore cet endroit et prendre le bus de Grandir.

M.B. – À la Soucoupe, nous avons remarqué qu’il aimait séquencer les choses, il aime les activités courtes : faire de la trottinette dix minutes puis un peu d’ordinateur, regarder un clip court, puis il se coupe de tout pendant dix minutes dans une cachette, puis il repart pour autre chose…

Mère – Oui, c’est tout à fait Kosta ! À Grandir, ils le laissent aussi faire cela !
L’an dernier, j’ai dit à l’école que Kosta, n’avait pas été diagnostiqué en Grèce, officiellement, avec un bilan complet, des examens médicaux. Seul un petit papier disait qu’il se situait sur le spectre de l’autisme et que c’était tout, aucune offre de traitement, aucune orientation ! L’équipe de Grandir me conseilla d’aller à l’hôpital universitaire pour faire un bilan complet. Nous n’avions jamais eu la confirmation qu’il n’y avait rien d’autre, un problème génétique, que sais-je encore ?… Tout ce qui devait être examiné fut fait, l’hôpital m’aida à remplir les documents pour obtenir une allocation familiale majorée due à l’autisme de mon fils.

M.B. – Quel effet cela vous-a-t-il fait de ne pas recevoir seulement un petit bout de papier ?

Mère – C’était un soulagement. Mais pas seulement, justice m’était enfin rendue ! Nous avions dû quitter le pays, mon mari avait du changer de travail, j’avais laissé toute ma famille là-bas et après deux ans, j’ai finalement trouvé une justice !

M.B. – Je crois que je peux désormais comprendre ce terme d’ »Agonas » que vous désigniez comme un élément de votre parcours !

Mère – Je pense que c’est en chaque mère… Ou peut-être c’est moi, je ne sais pas. Je ne suis pas quelqu’un qui abandonne. Au nom de mon fils, de son bien-être. Je voulais que Kosta puisse devenir un peu autonome, pour son bien-être à lui. Si je meurs, qu’adviendra-t-il de cet enfant ? S’il est accompagné de la bonne manière, il y a des chances qu’il devienne un peu indépendant, pas complètement mais…

M.B. – Il est pris en charge désormais, il a un suivi, il n’y a pas de raison qu’il ne puisse pas poursuivre son trajet.

Mère – C’est très important. C’est pour cette raison que nous essayons de rester en Belgique. Je suis décidée à ne plus revenir. Mon enfant part le matin à Grandir avec le sourire !

1- Sesame est un type spécial de communication sur base d’une langue des signes, pour des enfants ayant des difficultés de communication.
2 – PECS – Picture exchange communication system.
3 – Centre de jour bruxellois pour enfants non scolarisés (diagnostiqués autistes ou ayant des troubles envahissant du développement rendant impossible ou peu favorable l’intégration scolaire). Au sein de l’institution, deux classes spécialisées – type 5 – de L’Ecole Escale sont ouvertes et tous les enfants en bénéficient. Le travail de l’institution est d’orientation analytique.

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