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La Main à l’Oreille
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Je suis là


Par Laurence Vollin

Il m’arrive ce qui n’aurait jamais dû m’arriver.

Non pas parce que j’ai un droit quelconque à en être exemptée, mais parce que j’ai toujours considéré qu’en tant que mère d’une enfant handicapée, il y avait là une impossibilité à faire face, un impossible à gérer, un impossible à supporter.

La maladie est venue toquer à ma porte, un courant d’air l’a laissée rentrer.

La maladie, grave, lourde, dont les traitements et les effets secondaires sont singulièrement envahissants. Celle dont tout le monde, sans exception, a entendu parler. Celle dont l’évocation peut faire vaciller les plus résistants. Mais celle aussi dont une des spécificités, et c’est la mienne, se guérit très bien, ce que chacun et chacune s’empresse de me rappeler. Ces chacun et ces chacune que je remercie et à qui je confirme que je vais bien, que mon appétit de vivre et mon appétit tout court ne sont pas entamés (la gourmandise est, elle, une spécificité qui ne se soigne pas…)

Je n’étais pas disposée à évoquer ce chapitre intime de ma vie privée mais Anne-Laure, ma fille handicapée et autiste, a eu, dans ce contexte particulier, une position déterminante.

Le périple commença par l’annonce de la maladie à mon mari. Quand, comment, sur quel ton, et pourquoi pas, en quelle langue ? Comme si en chinois ou en serbo-croate les mots étaient plus légers. « Le poids des mots, le choc des photos » (vieille publicité pour Paris- Match), ma culture livresque et cinématographique, attribuait à cette annonce des effets cataclysmiques… Mais c’était sans compter sur Anne-Laure !

L’exercice fut délicat mais j’opérai sans vraiment réfléchir et laissai les circonstances me guider. C’est dans la chambre d’Anne-Laure, en discutant avec elle et entre nous de tout et de rien, qu’au détour de la conversation je « lâchai » la terrible nouvelle. Anne-Laure me regardait discrètement, allongée sur son lit, elle feuilletait négligemment un magazine. Dans son regard je trouvai l’appui qui me manquait pour ne pas vaciller, l’énergie suffisante pour dire quelque chose qui s’ajuste au mieux de ce qui peut, malgré tout, s’entendre. Son langage sans mot scandait un « je suis là, tu n’es pas seule, je suis là ! » C’est ainsi que je réalisai que ma fille s’était inscrite comme l’unique et indispensable témoin d’un des moments les plus difficiles de mon existence.

Comment dès lors ne pas réagir, lorsque quelques jours plus tard lors d’une consultation médicale me concernant, l’infirmière avec qui on évoquait Anne-Laure nous demanda si nous avions la possibilité de la « placer ». Je ne sais pas comment j’ai pu me retenir et ne pas lui demander : «  Et vous, quand vous êtes malade, placez-vous vos enfants ? » Mais voilà, ce n’était ni le lieu, ni le temps de lui expliquer que mon mari, mes trois enfants, et moi, nous formons un bloc indescriptible d’amour, de joies et d’espérance.

Comment décrire à cette infirmière mes « matins-câlins » avec Anne-Laure qui, après son petit-déjeuner, assise sur sa chaise, se penche un peu, me tend les bras, serre mon buste contre elle, puis pose sa tête au creux de mon épaule en un câlin doux et paisible.

Comment lui évoquer nos « conversations », oui, je sais, elle ne parle pas, mais elle vocalise, sourit, rit et fait mille mimiques avec son visage que je me réjouis d’interpréter.

Comment lui reproduire nos échanges récurrents sur les cheveux : les miens dont le destin est hasardeux et les siens, bien présents, qui ne cessent de pousser car je n’ai plus trop d’énergie pour les couper. Ou n’est-ce peut-être qu’un prétexte pour la voir, pour la première fois, avec des cheveux longs… Enfin, le sujet nous passionne, la fait rire et sourire car nous comparons ses cheveux et mes foulards, imaginons ses couettes et ses nattes et évoquons « l’atelier fille » des Perce-Neige où elle va pouvoir faire la coquette.

Comment lui relater son comportement ce fameux soir où mon mari, retenu professionnellement, j’étais seule avec Anne-Laure et encore fatiguée d’un précédent traitement je pris la décision de la changer sans attendre son papa. Changer Anne-Laure si elle n’est pas bien ou a décidé de vous faire passer un quart d’heure original peut-être toute une aventure : rodéo entre la chambre et la salle de bains, positions des plus extravagantes dans les moments les plus délicats, Pampers qui se déchire, impossibilité de remettre une manche ou une jambe de pantalon, tapage de tête en série et toutes autres acrobaties des plus surprenantes. Donc je me lançai. Je lui décrivis la situation, indiquant que je pouvais la changer, qu’elle n’aurait pas à rester sale jusqu’au retour de son papa mais que pour cela il fallait vraiment qu’elle m’aide ; nous allions nous aider toutes les deux. Elle m’a immédiatement présenté ses bras puis ses jambes pour que je la déshabille, est restée d’un calme olympien jusqu’à la fin des opérations et m’a gratifiée d’un beau sourire quand je l’ai félicitée et remerciée pour son aide.

Sur ce chemin où nous sommes engagés ensemble, mes proches me soutiennent au-delà de tout ce qu’ils peuvent imaginer. Mais Anne-Laure, voyons, me direz-vous, comment est-ce possible que… ?

Eh bien Anne-Laure a confiance en moi et me redonne confiance. Elle me transmet une énergie bienveillante. Je sais qu’il y a quelque chose d’inscrit depuis longtemps déjà qui se poursuit entre nous quoiqu’il arrive. Je me suis surprise à penser que quelles que soient mes difficultés, je pouvais compter sur elle.

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