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La Main à l’Oreille
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L'enfant lumière

Par Joëlle Petillot

Nous publions ici un texte qui a voyagé, un texte écrit pour un anniversaire par une marraine à son filleul. Ce filleul a souhaité que le texte soit publié sur le site de La main à l’oreille. 

 

Tu es un enfant-regard à qui la vie a joué un tour, pas de bon goût.

Et pour la remercier, là où d’autres seraient amers ou butés, tu souris.

En toi je devine des moments difficiles : tes mots ne t’obéissent pas.  Ils piétinent comme de sales gamins devant une porte en ton dedans qui s’ouvre quand ça lui chante. Lorsqu’ils sortent, ils portent de drôles d’habits.  L’effort à faire n’est pas bien grand pour les reconnaître, mais ce monde est celui de tous les dangers, et la bêtise est le premier d’entre eux.  Elle ricane parfois, lâchée comme un chien couchant  par de supposés humains qui ne seront  jamais aussi finis, peaufinés, affutés et sensibles que toi, tu l’es. 

Le mot « enfant » n’est plus de mise : dix-sept années que tu donnes aux autres ce sourire-fenêtre ouverte malgré la porte fermée. Tu m’arrives à l’épaule. Quand on se balade, je sens ton bras autour du mien, solidement ancré, et on marche du même pas. On se parle, on se raconte, on rit comme des baleines à se dire des idioties, et j’aime ces instants là parce qu’en dépit des autres (tes parents ne sont jamais loin) on est tout seuls. Toi et moi contre la terre entière.  Entre nous, un contrat, un vrai, un papier signé… mais aussi un autre, écrit là au plus profond de l’amour que j’ai pour toi : je dois te protéger autant que possible contre… quoi ? 

La terre entière, justement.

Une broutille. Même pas peur.

Parfois, tu t’agites, rafiot de toutes les tempêtes.

Je vois ton œil tourné vers un nulle part en toi, cette île dont tu es roi où personne ne peut te suivre. La violence s’en mêle, bien sûr, elle se mêle de tout chez tout le monde.

La tienne est celle de quelqu’un qui souffre, parce qu’il y a bien pire que l’insulte ou les coups pour un être de ton essence: le rejet.

J’aimerais bien faire comprendre à ceux qui ne te comprennent pas que dans ces instants là c’est ton chagrin qui est violent, pas toi. 
Des pages par milliers suffiraient à peine pour dire ce que tu apportes, dans tes gestes maladroits d’adolescent-brindille, (c’est que tu n’es pas bien gros, mon ablette) et cette lumière vive qui est la tienne et celle de personne d’autre. Certains êtres sont ainsi, ils remplissent l’espace y compris dans leur silence.  Ta différence est là, et nulle-part ailleurs. Le reste pèse lourd, sans doute, mais ce n’est pas cela qui fait de toi un « autre » par rapport aux jeunes gens censés mériter l’AOC « normaux »…

Ceux-là apportent au monde ce qu’ils veulent bien donner, choisissent, et comptent. Toi dont la croissance légèrement feignante fait un petit gabarit, tu te payes le luxe de faire grandir les autres. 
Je trouve que tu élèves bien tes parents. 

Normal, tu élèves, au sens propre, tous ceux qui t’approchent. 

Entre nous ce fil tendu qui nous va bien je pense : toi alourdi de mots rétifs, moi veinarde qui peux jouer avec et te faire rire, donc.

Ta main frêle souvent froide que je réchauffe dans ma poche, mon prénom que tu prononces avec cette banane en travers du visage, parce que tu es couché et que je suis montée te dire bonsoir.

Et ce regard à fleur d’âme qui me traverse, qui me dit dans ce que nous taisons : « je sais ». 

Tu es un enfant-regard à qui la vie a joué un tour, pas de bon goût. Et pour la remercier, là où d’autres seraient amers ou butés…

Tu souris.

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