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Nos enfants valent mieux que ça


Par Mireille Battut,

Présidente de La main à l’oreille 

 

En ces temps de campagne, chacun fourbit ses armes, et l’autisme est une valeur qui monte. Certains s’en sont fait un fonds de commerce, d’autres découvrent l’affaire avec le zèle des nouveaux convertis. Monsieur Fasquelle, député LR, fondateur du groupe d’études sur l’autisme au sein de l’Assemblée nationale est un vieux routier. Il connait par cœur les mots clés qui sont présumés faire grimper les parents au plafond de l’applaudimètre. Profitant d’un intervalle parlementaire, il présente une résolution (déposée le 13 octobre pour être mise aux voix le 8 décembre prochain) à laquelle 93 députés se sont ralliés. 

La résolution Fasquelle pose tout d’abord l’extension du domaine : « À ce jour, on recense 600 000 autistes en France soit environ une naissance sur 100 ou 800 000 naissances par an. ». Passons sur la coquille de 800 000 naissances autistes par an, qui correspond en fait au nombre de naissances totales (760 400 naissances en 2015) et sur le « recensement » (en fait une estimation) de 600 000 autistes en France alors que le ministère de la Santé communique le chiffre 440 000 personnes. Si nous retenons le taux de prévalence estimé par le ministère d’une naissance pour 150 (ce qui est déjà important), nous, familles concernées pouvons dire que 5 070 nouvelles familles découvrent l’autisme chaque année et viennent nous rejoindre dans le défi qui a changé nos vies à jamais. 

Comment sont-elles accueillies ? Comment sont-elles écoutées ? Un nourrisson reste lourd quand vous le soulevez, rit pour un rai de lumière, un je ne sais quoi voile son appréhension du monde. Un enfant ne réagit pas à l’appel de son prénom, perd le langage après l’avoir appris, ou n’y accède pas. Quelque chose ne va pas, mais quoi ? Malaise profond, souffrance indicible de ne pas savoir le qualifier. Combien de familles cependant témoignent que le pédiatre a minimisé voire raillé ces préoccupations. L’errance est un enfer qui transforme en quête le diagnostic pourtant redouté. TSA, TED, ou « autre trouble non spécifié » : un spectre s’est invité au sein de la famille. Il est des mots qui sont comme des tessons de bouteille. Il faut frotter longtemps pour en abraser le coupant. Et pourtant, Jim Sinclair, fondateur du mouvement américain de Self Advocacy ASAN nous invite, dans une lettre admirable aux parents, « Don’t mourn for us », à considérer que le deuil n’est pas celui de notre enfant, mais de l’image que nous avions de l’enfant rêvé. 

Or c’est avec notre enfant réel que nous allons apprendre, réapprendre, avec lui, de lui. Monsieur Fasquelle affirme que la « science internationale » connait ce qui est bon pour notre enfant mieux que nous, et mieux que les professionnels qui s’occupent de lui. Il considère que nous devons appliquer, pour l’éduquer, des protocoles définis dans l’Ohio il y a quarante ans et exige que « seuls les thérapies et les programmes éducatifs qui sont conformes aux recommandations de la Haute Autorité de santé soient autorisés et remboursés ». Or, la science et le progrès des connaissances évoluent, mais Monsieur Fasquelle tient à sa ligne Maginot. car comme l’indique une pétition de médecins, « il sait bien que ces recommandations sont partiellement caduques et risquent d’être prochainement révisées. », notamment parce que les résultats des 28 centres expérimentaux, tous appliquant les méthodes que Monsieur Fasquelle veut rendre obligatoires pour tous, se sont révélés décevants. Nous sommes attachés aux progrès de la science, mais n’est-il pas abusif d’attribuer le label de science à des programmes éducatifs ? Et si les programmes éducatifs sont de la science, alors nous, parents, devons être éduqués à devenir des exécutants de ces programmes, qui seuls pourront être enseignés – puisque Monsieur Fasquelle veut les imposer à l’exclusion de toute autre approche – dans les universités et la formation professionnelle. 

Quant aux fédérations professionnelles, elles sont sommées de « reconnaître sans aucune réserve et officiellement les recommandations de bonnes pratiques de la HAS et de l’ANESM afin qu’elle renonce officiellement au packing, à la psychanalyse et à toutes les approches maltraitantes ». Monsieur Fasquelle pratique un art consommé de la conjonction « et » qui lui permet tous les glissements. Il ne dit pas que la psychanalyse est maltraitante, mais il l’accole à la maltraitance, ce qui lui permet d’inviter «  le Gouvernement français à fermement condamner et interdire les pratiques psychanalytiques sous toutes leurs formes, dans la prise en charge de l’autisme ». La psychanalyse étant une pratique légale, l’interdire aux seuls autistes revient à dire qu’ils ne sont pas des humains comme les autres. Monsieur Fasquelle invite donc le Gouvernement français à mettre les autistes, formellement et juridiquement, en marge de l’humanité. N’y a-t-il pas autre chose à entendre dans la demande de soin, qui ne peut jamais être imposée sans détruire son objet, comme le montre suffisamment le débat douloureux sur les soins sans consentement.

Le sujet de la maltraitance n’est pas à prendre à la légère et la résolution dévoile un scandale d’une ampleur inédite : « En 2014, 44 % des personnes autistes étaient victimes de maltraitance, soit 250 000 personnes autistes sur les 600 000 que compte notre pays. ». (Même en corrigeant de la surévaluation initiale, l’on arrive au chiffre considérable de 44% de 440 000 soit 193 600 personnes autistes maltraitées). Ce chiffre est en réalité une extrapolation à partir de la réponse de 236 familles à la question « votre enfant a-t-il subi des mauvais traitements ou des carences en matière de soin » dans une enquête réalisée auprès de 538 familles par le Collectif Autisme. Toute personne qui connait un autiste sait comment l’on peut se sentir démuni en découvrant au moment du bain, une plaie béante que l’enfant semble découvrir avec vous, ou comment l’on peut préférer garder un enfant malade chez soi plutôt que d’affronter des urgences hospitalières qui vont le terroriser. Alors, carence de soin ou soin maltraitant ? Le terme « victimes de maltraitance » choisi dans la résolution pour faire entendre une intention maligne, dévoie la question et rate l’essentiel, à savoir qu’un accueil bienveillant n’est pas affaire de protocole, mais d’humanité et… d’humilité ; une humilité qui ne supporte pas que des députés participent au discrédit et à la diffamation de professions entières qui sont celles qui s’occupent de nos enfants. Nous avons besoin de partenariats et d’attention conjointe pour avancer, pas de confrontations stériles.

Enfin, Monsieur Fasquelle appelle à prendre des mesures immédiates sur un sujet central : le droit à l’éducation inclusive (qui est notons le très peu présent dans les recommandations HAS de 2012). Il invoque à ce titre une résolution du Conseil de l’Europe mais néglige de signaler que le Conseil de l’Europe met en avant la défaillance française en accompagnants dans les écoles (AVS) et leur précarité et préfère inviter fermement «  le Gouvernement français à réallouer en totalité les financements des prises en charge n’étant pas explicitement recommandées aux approches validées scientifiquement et ayant fait preuve de leur efficacité ». Sans doute entend-il, en s’attaquant ainsi aux institutions qui accueillent souvent les plus démunis de nos enfants, apporter sa contribution à l’œuvre salutaire de suppression de 500 000 fonctionnaires, dont on voit mal comment elle pourrait être compatible avec l’amélioration des conditions d’intégration scolaire des enfants autistes.

L’on reste confondu que le président d’un groupe d’étude qui proclame travailler sur l’autisme depuis 2011, s’appuie sur des chiffres fantaisistes pour susciter l’effroi et justifier ses rodomontades, et surtout soit incapable d’aligner la moindre mesure constructive dont les familles ont tant besoin, tant du côté du soin, comme de développer les réseaux de soins somatiques adaptés, de mettre fin à la pénurie d’orthophonistes, de pédopsychiatres, de psychologues…. que du côté de l’éducation, comme de sortir les accompagnants scolaires de la précarité, de déplafonner les âges d’accueil de nos jeunes à l’école pour tenir compte de leur fréquent retard scolaire, de favoriser enfin le pluralisme des approches, pour que chacun trouve une solution à sa mesure… 

Nos enfants valent mieux que ça. 

Mesdames et Messieurs les députés, il nous reste peu de temps pour nous ressaisir. Au moment où s’ouvre la concertation pour un quatrième plan Autisme, repartons sur d’autres bases.

 

Cachan, le 28 novembre 2016

Mireille Battut

Présidente

La main à l’oreille

lamainaloreille@gmail.com

 

 1. Voir Xavier Briffaut « Santé mentale, santé publique, un pavé dans la mare des bonnes intentions »

2.Pétition de médecins  

3. A.B.A en France, une sévère désillusion 

4. Collectif autisme 

5. Conseil de l’Europe  (4 février 2014, Résolution CM/ResChS(2014)2  

 6. Intervention au sénat, à propos du 3ème plan autisme  

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