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La Main à l’Oreille
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Pourtant l'autisme n'est pas un virus

Par Valérie Gay-Corajoud

Je lis également (et je relaye), sous forme de blagues, ou de pamphlets, ou de journaux, ou de témoignages, la galère des parents enfermés avec leurs enfants… Comment les occuper, comment les instruire, comment les rassurer, comment leur expliquer. Des parents qui sont épuisés au bout de quelques jours, qui réalisent ce que veux dire, concrètement, le confinement, la solitude, la débrouillardise… sachant pourtant qu’elle finira assez vite et que surtout, la société en son ensemble est là, à leur côté. Certains se sentent héroïques, d’autres dépassés, beaucoup épuisés…
Il y aurait beaucoup à dire d’une société qui découvre ce que cela signifie de passer du temps avec ses enfants… Mais là n’est pas le débat.
Et bien sûr, ça me ramène à mes souvenirs d’un temps de confinement avec mon fils autiste. 9 années d’une solitude totale, infinie. D’un temps où il n’y a eu nul sursaut de la part d’un gouvernement bien trop occupé à me juger pour proposer la moindre solution. D’un temps où l’éducation nationale ne supportait pas que je rejette sa proposition de normalisation forcée et ma demande, à défaut de soutien, qu’au minimum elle me laisse élever mon enfant en paix ! D’un temps où le voisinage me jugeait, me soupçonnait, me surveillait… D’un temps où mon isolement, mon confinement me protégeait d’eux…
Il n’y avait pas de n° vert pour moi. Aucun appel au secours ne pouvait être lancé sans qu’il ne me mette en danger. Aucun médecin ne prenait la mesure de ce que nous vivions à la maison. Aucune maison d’édition n’a trouvé bon de m’offrir les livres dont j’aurais eu besoin pour m’aider à éduquer mon fils, ou ne serait-ce que l’apaiser, pas plus d’ailleurs qu’elles n’ont répondu présent lorsque je leur ai proposé d’éditer mon livre évoquant, en partie, ce confinement. Aucune loi n’est venue nous protéger au long de notre route sinueuse et caillouteuse… au contraire, nous étions comme en surveillance. Au moindre faux pas, on me menaçait de m’enlever mon enfant.
Je n’ai pas eu le sentiment que quiconque réalisait vraiment ce que nous vivions entre nos quatre murs. La porte fermée sur nous permettait de nous oublier et de justifier la validité des prises en charges normatives qui continuaient de s’épanouir, de fructifier et de se rentabiliser, faute d’autres propositions.
9 années. Jour et nuit. Pas une semaine, ni deux, ni quelques mois ! Non, 9 années.
Pourtant l’autisme n’est pas un virus ! Pourtant l’autisme n’est pas contagieux ! Pourtant l’autisme n’est pas une faute !
Alors… pour moi il est trop tard. Pour mon fils, il n’y aura pas de séance de rattrapage. Nous avons avancé, lui et moi, et mes autres enfants, comme nous avons pu. Nous avons fabriqué une société familiale en quelque sorte, pour compenser celle qui n’était pas en mesure de nous accepter… une société miniature, bienveillante… et finalement, nous nous en somme sortis. Nous ne le devons qu’à nous-mêmes, soyons clairs.
Au bout de 9 années, Théo ayant bénéficié de toute l’attention nécessaire, a pu enfin sortir de son confinement et, un peu de son isolement. Dans une école spécialisée, puis dans une école de formation préprofessionnelle adaptée à sa fragilité.
Quant à moi… bien sûr, je m’en remettrai. Mais j’ai abandonné ma carrière, j’ai perdu des amis, j’ai payé de ma santé (et ce n’est pas une image), j’ai sacrifié mon couple. Il ne me reste que mon histoire, les mots pour la raconter, ma fierté d’être sortie de là grandie, et mon amour inconditionnel pour mes enfants. C’est déjà beaucoup.
Mais je pense aux autres parents d’enfants différents, d’enfants autistes en particulier. J’ai des amies (des femmes, il faut bien l’avouer, seules la majorité du temps) qui se trouvent confinées avec leur enfant fragile, et cela, bien avant que le covid19 débarque dans nos vies !! Des femmes dont la carrière s’est achevée, dont la vie sentimentale a explosé, dont la féminité est mise à mal, dont les rêves se sont évanouis, dont la vitalité est aspirée. Des femmes tellement épuisées qu’elles finissent par renoncer à demander de l’aide, tant la moindre parcelle de courage est nécessaire pour vivre au quotidien.
Imaginez alors ce qu’elles vivent aujourd’hui !!
Alors voilà… depuis des jours, tout cela remonte en moi… et je ne sais pas quoi en faire. Je ne sais plus séparer la colère, de l’acceptation, de la joie, de la peur, de l’abandon… car oui, l’abandon parfois, est la seule manière de continuer à avancer.
Ce que je souhaite, c’est que lorsque le virus aura quitté nos vie, les personnes qui auront pris conscience de ce que la solitude signifie, ouvrent les yeux sur le quotidien de ces familles hors normes, hors-jeu… Et qu’elles proposent le même soutien vital et humain ! Et qu’elles regardent avec autant de finesse et de bienveillance ! Et qu’elles proposent avec autant de dynamisme et d’intelligence.
Pour l’heure… depuis 15 jours déjà, je suis à nouveau en confinement avec mon fils, dans un petit appartement de 41 m2… Nous parlons beaucoup du passé, parfois avec nostalgie, parfois avec tristesse, parfois, comme aujourd’hui, avec colère.

Je bouillonne depuis plusieurs jours… mais il est si difficile de séparer les pensées rationnelles des sentiments qu’elles génèrent, presque aussi difficile que de ne pas tout rejeter en bloc et d’être en mesure d’analyser ce qui prédomine dans ma colère, même lorsqu’elle est associée à la volonté d’avancer et peut-être même, celle de pardonner.
Depuis le début du confinement, je lis à droite et à gauche un désir d’entraide qui me fait chaud au cœur. Des groupes de personnes, des associations, et même des entreprises offrent leur soutien, qu’il soit humain ou matériel. Des conseils, des numéros verts, des livres scolaires en téléchargements gratuits, des aides financières, des lois particulières, des promesses aussi… Et bien sûr, je ne peux que me réjouir de ces sursaut d’entraide et d’humanité, tout autant que des réactions que cette entraide suscite auprès de la population.

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